Ron Rosenes |
SCS : Félicitations
pour ton prix de l’Ordre du Canada, Ron. Peux-tu nous parler de ce qu’a été cette
expérience pour toi?
Ron : J’étais entouré
de ma famille qui vit à Ottawa, notamment ma sœur, son époux et ma cousine. Et
en compagnie de mon partenaire, qui est de Montréal. C’était merveilleux que ma
famille et mon conjoint soient avec moi pour partager cette expérience. Ce fut
une fin de semaine vraiment inoubliable – et j’ai beau avoir eu ma part
d’expériences mémorables, celle-ci restera gravée en moi toute ma vie.
Il faisait très beau et la cérémonie proprement dite a été très
émouvante. Tout de même, c’est incroyable d’être honoré parmi tant de personnes
accomplies. Certes, c’est merveilleux d’être choisi pour l’ensemble de son
travail, mais il s’agit en réalité d’un grand honneur pour l’ensemble de notre secteur
– et par là je veux dire les communautés du VIH/sida et LGBTQ où je fais du
bénévolat depuis plus de 25 ans.
SCS : Tu as vu bien
des choses changer, au fil des ans. Parle-nous-en svp.
Ron : Oui, j’ai vu
beaucoup de changement, en matière de progrès scientifiques. Je me suis d’abord
considéré comme un survivant, puis avec le temps, comme un témoin. Et en
vieillissant avec le VIH, je me vois aujourd’hui comme un pionnier. Aux yeux du
public, le VIH est un problème médical, une maladie, qui est à présent
« chronique et gérable ». On a beau dire que le VIH ne discrimine
pas, et que tout le monde peut le contracter, mais il sait comment trouver les
plus vulnérables parmi nous. Donc je considère qu’en plus d’être un virus le
VIH est une maladie sociale qui pose des risques particuliers pour certaines
personnes – celles qui n’ont pas un logis stable, qui n’ont pas fait d’études,
ou qui ont vécu des traumatismes ou de la maltraitance pendant la petite
enfance et peuvent avoir également développé des troubles de santé mentale et
des dépendances.
Ayant eu le privilège d’une famille aimante et d’amis aidants ainsi
qu’une bonne éducation, j’ai beaucoup réfléchi au fil des années à quel point
cela m’a aidé dans le travail que j’ai fait, et à l’importance de rehausser la
sensibilisation quant aux besoins réels qui correspondent aux vulnérabilités
des gens au VIH. Cela relève de la justice sociale et ça nécessite que nous
bâtissions des coalitions d’intérêts communs, pour réaliser des changements
systémiques.
En même temps, nous devons élever la sensibilisation aux défis
scientifiques qui persistent, dans la quête d’un remède, et nous assurer
d’obtenir le soutien qu’il nous faut en prenant de l’âge.
Ron : Je trouve qu’il
s’agit en effet d’un énorme défi; à mon avis, cela recoupe des maladies chroniques,
comme la co-infection à hépatite C, de même que des réalités que je viens de
mentionner, comme la dépression, le manque de logement stable et bien d’autres
choses. L’ampleur de ces défis sociaux et médicaux dans la vie des gens a
réellement des répercussions sur leurs résultats de santé.
SCS : J’ai entendu
dire que tu as rencontré la ministre de la Santé, Rona Ambrose, pendant la
cérémonie de l’Ordre du Canada?
Ron : De fait, j’ai eu
l’occasion de m’entretenir avec la ministre Ambrose lors de la réception suivant
la cérémonie. Puisque nous n’avions jamais fait connaissance, j’étais très
heureux d’avoir la chance de lui parler et de la remercier de l’intérêt qu’elle
a porté à notre travail sur le VIH/sida. Et nous avons convenu de poursuivre
notre conversation. J’ai trouvé intéressant d’apprendre que Santé Canada
planifie une campagne pour atténuer la stigmatisation et la discrimination
liées au VIH. Nous avons eu un échange intéressant sur le sujet, car plusieurs
d’entre nous considèrent qu’il s’agit d’un des plus grands défis à la réduction
de la transmission et à l’amélioration de la compréhension du VIH.
Je crois que la stigmatisation et la discrimination soulèvent des défis
pour les individus, dans le dévoilement de leur statut VIH. Nous savons tous que
cela a conduit à la criminalisation des personnes qui échouent à dévoiler leur
statut à leurs partenaires sexuels. Nous avons parlé un peu de cela. C’était
intéressant de parler à la ministre de la Santé de certains de ces enjeux
connexes, pour voir si elle pourrait nous aider à impliquer d’autres ministères
fédéraux comme celui de la Justice, qui pourrait être la clé pour atténuer le
recours excessif aux tribunaux. La réduction de la stigmatisation sera
essentielle à joindre les personnes vivant avec le VIH qui n’ont pas encore été
dépistées et ne sont donc pas au courant de leur séropositivité.
Je crois que notre compréhension actuelle de la science est que ceux
d’entre nous qui suivent un traitement anti-VIH et ont atteint une charge
virale indétectable sont peu susceptibles de transmettre le virus. Cela nous apporte
une meilleure compréhension de ce qu’il faut faire pour réduire la transmission
ultérieure du VIH. Et cela inclut d’instaurer des conditions propices à ce que
les gens prennent l’initiative de se faire dépister et aient moins peur d’être
criminalisés. Nous devons nous assurer que les personnes qui reçoivent un
diagnostic de VIH développent un lien de confiance avec le système de soins de
santé et des professionnels de la santé qui pourront leur expliquer les
bienfaits des traitements – d’une manière adaptée à leurs besoins individuels.
Nous reconnaissons l’existence de bienfaits de santé publique à tout
cela, mais je suis convaincu que notre travail dans les communautés doit se
concentrer d’abord et avant tout sur les bienfaits des traitements pour les individus.
Les bienfaits pour la santé publique sont bien, mais en tant que personne de la
communauté, ma préoccupation principale concerne la santé et le bien-être
individuels.
Notre degré de compréhension du VIH en tant que maladie médicale et
sociale devrait nous inciter à travailler de manière intersectorielle et à
abolir la compartimentation, qui a trop souvent créé des obstacles à la
réduction de la transmission et à de meilleurs résultats de santé pour les
individus de nos communautés d’intérêt.
SCS : As-tu une
dernière réflexion à partager au sujet de tes années de militantisme
communautaire?
Ron : Oui. Au cours de
mes années de plaidoyer pour l’accès aux traitements, je trouvais important de
donner une voix à ceux qui n’en ont pas dans notre société. Ce qui s’est avéré
gratifiant pour moi, dans ce travail, est de constater que nous avons réussi à
mobiliser plusieurs personnes qui ont développé des voix solides, et à
travailler avec elles. J’en suis très fier!
SCS : Merci d’avoir
pris le temps de partager ton expérience avec nous!
Ron : Merci de m’avoir
offert cette occasion.
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